Au cours de cette année 2023, de nombreux propriétaires bailleurs ont initié des démarches d’expulsion avant le déclenchement d’une procédure de redressement judiciaire de l’entreprise locataire. Cette démarche vise souvent à faire acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail commercial en raison du non-paiement des loyers échus antérieurement à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
La question qui se pose est de savoir comment le prononcé d’un redressement judiciaire à l’égard d’un locataire impacte l’ordonnance de référé prononçant son expulsion sachant que les instances en cours font l’objet d’une suspension.
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Le principe d’arrêt des instances en cours dans le cadre du redressement judiciaire
Dans le cadre d’un redressement judiciaire, les poursuites individuelles entreprises par les créanciers à l’encontre du débiteur en difficulté font l’objet d’un arrêt ou d’une cessation temporaire. L’objectif est d’assurer le processus de restructuration et de réorganisation du débiteur. Pour les instances en cours, le principe est le même afin d’éviter l’existence d’une multitude d’actions individuelles qui pourraient perturber le processus global
de redressement et entraîner la liquidation de l’entreprise.
En vertu de l’article L. 622-21 du Code de commerce, en principe, la décision d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire a pour effet d’arrêter ou d’interdire toute action entreprise par un créancier, notamment un bailleur, pour résilier un contrat en raison du non-paiement d’une somme d’argent par le locataire.
Les différents types d’actions en justice faisant l’objet d’une interruption
L’article L622-21 du Code de Commerce prévoit toutes les actions en justice faisant l’objet d’une interruption ou d’une interdiction selon leur introduction, soit :
- Les actions tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ;
- Les actions tendant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ;
- Toute procédure d’exécution de la part de ces créanciers sur les meubles et les immeubles ;
- Toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture.
Sur la base de cet article, une ordonnance de référé n’est pas une décision rendue au fond, mais une décision provisoire. Elle est ainsi caduque à l’ouverture d’une procédure collective.
L’ordonnance de référé d’expulsion d’un locataire, privée de force de la chose jugée
L’ordonnance de référé est une décision rendue provisoirement par le président du tribunal dans le cadre d’une urgence. Une procédure de référé doit donc être suivie d’une procédure au fond devant les juridictions du fond.
La notion d’instance en cours
La procédure de référé prononçant l’expulsion du locataire n’est pas une instance en cours. En effet, selon la jurisprudence, seule une instance devant une juridiction du fond est une instance en cours. Ainsi, ni un pourvoi en cassation ni un référé n’est une instance en cours (Cass civ 3ᵉ 18 sept 2012 n°11-19571). La raison est simple, la décision, c’est-à-dire l’ordonnance de référé, n’a pas encore autorité sur le fond. En cas de référé lors duquel
une ordonnance a déjà été rendue, le jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire rend irrecevable la demande d’expulsion du fait de l’interdiction des poursuites.
L’ordonnance est donc caduque. La décision rendue sur appel de cette ordonnance doit donc infirmer l’ordonnance qui condamne le débiteur et non pas déclarer l’appel sans objet (Cass com, 11 décembre 2019, n°18-19425).
La force de chose jugée de l’ordonnance de référé prononçant l’expulsion
Les ordonnances de référé n’acquièrent force de chose jugée qu’à la condition de ne pas avoir fait l’objet d’un recours dans les délais (Cass. com, 11 janvier 1994, n° 92-11.288).
L’ordonnance de référé frappée d’appel ou encore susceptible de faire l’objet de recours, n’a donc pas force de la chose jugée. Ainsi, dans ce cas, le bailleur ne peut plus poursuivre l’action engagée avant le prononcé du redressement judiciaire sur la base de l’arrêt des poursuites. C’est le cas même si l’ordonnance de référé est exécutoire à titre provisoire.
L’ordonnance de référé prononcée devient caduque. Seuls les juges du fond peuvent statuer sur le sort du débiteur. Une décision de la Cour de cassation, rendue le 18 septembre 2012, renforce cette position. L’action ne peut pas être poursuivie après le jugement de redressement judiciaire.