Le liquidateur peut effectuer, dans l’intérêt collectif, des actions en vue de protéger le gage commun des créanciers. En effet, il a l’obligation de faire toutes les opérations nécessaires afin de s’assurer que le patrimoine du débiteur ne soit pas diminué avant la fin de la procédure collective. Dans certains cas, le débiteur agit de telle sorte de réduire son patrimoine en transférant à des tiers la propriété de ses biens. La question qui se pose est de savoir si le liquidateur a la qualité pour faire une action paulienne qui ne bénéficie qu’à certains des créanciers.
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L’action paulienne : le principe
L’article 1341-2 du Code civil prévoit l’action paulienne, laquelle est une voie de droit, une action ouverte à un créancier contre un acte pris par son débiteur en fraude de ses droits. En d’autres termes, il s’agit d’un moyen pour tout créancier d’attaquer un acte du débiteur ayant pour effet d’appauvrir son patrimoine, et baisse ainsi les chances de pouvoir rembourser le créancier. Ces actes peuvent être des actes à titre onéreux, ou même à titre gratuit (cas de la donation). L’objectif de l’action paulienne est de rendre inopposable au créancier ces actes et de bloquer le transfert de propriété de l’élément du patrimoine du débiteur. On peut donc dire que l’action paulienne est un des moyens de recouvrement des créances.
L’exercice de cette action doit satisfaire de nombreuses conditions.
D’abord, il faut prouver le caractère frauduleux de l’acte. En effet, l’acte doit avoir été motivé par la diminution du patrimoine au détriment du ou des créanciers. L’acte doit ainsi avoir pour effet de rendre insolvable le débiteur. Ensuite, la créance doit être certaine et donc antérieure à l’acte frauduleux à caractère patrimonial attaqué.
La possibilité pour le liquidateur d’agir pour le compte des créanciers
Dans le cadre d’une procédure collective, le liquidateur a la possibilité d’effectuer des actions sur la base de l’intérêt collectif. Ainsi, pourrait-on arguer que l’action paulienne fasse partie de ces actions ?
L’article L. 622-20 du Code de commerce constitue la base juridique de la qualité pour agir du liquidateur. En effet, le mandataire judiciaire tel que le liquidateur est le seul compétent pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Il s’agit là d’une qualité exclusive. L’explication est assez simple puisque les créanciers sont placés sur un même pied d’égalité à l’exclusion de ceux ayant des sûretés. Les poursuites individuelles sont suspendues au profit des poursuites collectives menées par le liquidateur au bénéfice des créanciers.
L’intérêt collectif est ainsi le mot clé dans le cadre de la compétence du mandataire judiciaire. Ce dernier ne peut donc pas agir pour le compte d’un seul ou d’un groupe de créanciers uniquement. D’où la question de la légitimité de l’action paulienne qui ne profite, naturellement, qu’à certains créanciers du débiteur.
La possibilité d’une action paulienne du liquidateur même au bénéfice de certains créanciers uniquement
Un arrêt récent de la Cour de cassation a consacré la légalité de cette action engagée par le liquidateur au profit de certains créanciers uniquement (Cass. com., 8 mars 2023, n° 21-18.829).
L’action paulienne en tant qu’instrument de préservation du gage commun des créanciers
Le liquidateur est doté de nombreux instruments d’action afin de reconstruire le gage commun des créanciers dont l’action paulienne (Cass. civ. 1, 13 juillet 2004, n° 03-10.292). L’action paulienne a pour effet de rendre inopposable aux créanciers représentés par le liquidateur les actes considérés comme frauduleux, contrairement aux actions en nullité qui ont carrément pour effet d’annuler les actes. L’inopposabilité signifie que le tiers, bénéficiaire de l’acte frauduleux, ne peut pas faire valoir, à l’égard du créancier au profit duquel le liquidateur a fait une action paulienne, son droit issu dudit acte. Cet acte n’a donc aucun effet sur le ou les créanciers. Toutefois, il reste valable entre le débiteur et le tiers (Cass. com., 14 mai 1996).
En outre, si l’on suit le raisonnement des actions effectuées par le liquidateur, l’action paulienne devrait profiter à tous les créanciers, quelle que soit la date de naissance de la créance. Néanmoins, ce n’est pas le cas.
La justification de cette qualité du liquidateur pour effectuer l’action paulienne
Il est important de rappeler que le produit de l’action paulienne était auparavant collectif. Elle profitait toujours à la masse sous la loi du 13 juillet 1967. Mais la masse a été supprimée en 1985.
Actuellement, le liquidateur judiciaire peut agir contre un acte frauduleux mettant en danger le patrimoine du débiteur, même si cette action (paulienne) a pour effet une inégalité entre les créanciers étant donné que certains d’eux uniquement pourraient en profiter (Com. 8 mars 2023, n° 21-18.677). Cette solution est certes classique, mais elle est le fruit d’une évolution jurisprudentielle intéressante.
En effet, quelques années plus tôt, le liquidateur ne pouvait agir contre une déclaration d’insaisissabilité que s’il représentait seulement les créanciers ayant un intérêt à ce que la déclaration d’insaisissabilité leur soit déclarée inopposable (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-16.035). Cette position a diminué le champ d’action du liquidateur judiciaire dans le cadre de l’action paulienne. Un revirement de jurisprudence s’est opéré en 2016 (Cass. 1re civ., 14 déc. 2016, n°15-21876).
Désormais, l’action paulienne intentée par le liquidateur est recevable, peu importe la qualité des créanciers qu’il représente. Ainsi, même si cette action est engagée au profit des seuls créanciers qui bénéficieront de la répartition des dividendes, elle est toujours du ressort du liquidateur. On peut en conclure que l’action paulienne est donc cette action qui fait exception à la conception collectiviste des procédures collectives.