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Déclaration de créance et interdiction de paiement des créances antérieures.
La procédure de redressement judiciaire est une procédure collective applicable à une entreprise en état de cessation des paiements, lorsque la reprise de l’activité est envisageable. Les objectifs sont la pérennité de l’activité, la sauvegarde des emplois et l’aspiration du passif (article L631-1 Code de commerce).
L’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire a plusieurs conséquences :
- Interdiction du paiement des créances nées antérieurement au jugement d’ouverture
- La suspension provisoire des poursuites
La période d’observation permet de réaliser un diagnostic de l’entreprise et de préparer un plan de redressement.
L’article L631-16 du Code de commerce dispose que : « S’il apparaît, au cours de la période d’observation, que le débiteur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais et les dettes afférents à la procédure, le tribunal peut mettre fin à celle-ci. »
Pendant cette période, l’entreprise poursuit son activité dans un cadre aménagé et favorable à son redressement.
Pour aboutir à un plan de continuation, l’entreprise doit fournir des documents comptables prévisionnels permettant d’apurer son passif.
Afin de faciliter le rebond de l’entreprise, les créances antérieures au jugement d’ouverture de la procédure son gelées. L’entreprise a l’interdiction de régler ses dettes échues avant le jugement d’ouverture.
En revanche, le débiteur doit procéder au règlement des charges d’exploitation courantes à leur date d’exigibilité pendant la période d’observation.
En effet, l’article L622-17 dispose que : « Les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. »
Cependant, dans certaines hypothèses, il y a débat sur la date d’exigibilité d’une créance et sur le fait qu’elle soit née avant ou après la période d’observation.
Notamment, on peut se poser la question du sort des charges locatives régularisées au cours de la période d’observation correspondant à des charges des années antérieures au jugement d’ouverture.
S’agit-il de créances antérieures ou des créances postérieures au jugement d’ouverture de la procédure ?
- Si ces sommes sont des créances antérieures au jugement d’ouverture, la société a l’interdiction de les payer en vertu de l’article L622-7 du Code de commerce.
- Si ce sont des créances nées pendant la période d’observation, l’article L622-17 du Code de commerce impose qu’elles soient payées à échéance.
Se pose ici la question de la date de naissance de la dette à l’égard du locataire.
Si la reddition des charges (correspondant à des charges antérieures au jugement d’ouverture au cours de la période d’observation) fait apparaître un crédit au profit du bailleur, doit on considérer que ce sont des charges qui auraient dû faire l’objet d’une déclaration de créance ou doit-on au contraire considérer que ce sont des créances de l’article L622-17 du code de commerce qui doivent être régularisées sur le champ.
Les provisions sur charges et la reddition des créances :
Les charges locatives sont les dépenses courantes liées à l’occupation du logement, et donc à la charge du locataire, mais d’abord payées par le propriétaire. Ce dernier récupère ces sommes en plus du loyer.
Les charges locatives sont récupérées par le bailleur sous forme de forfait ou sous forme de provisions, avances régulières de même montant, avec reddition annuelle. Dans ce dernier cas, le bailleur facture tous les mois une provision sur charges à tous ses locataires et procède à une régularisation en fin d’année : il compare les sommes dépensées et les sommes facturées et dresse un décompte récapitulatif à l’attention des locataires.
A noter que le délai de prescription d’une dette locative commerciale est de cinq ans. Le propriétaire a cinq ans pour régulariser les charges locatives, quelle que soit la raison. Ainsi, la régularisation peut être tardive et intervenir une à cinq années plus tard.
La dette de reddition des charges prend-elle naissance au jour de la régularisation ou en même temps que les loyers et charges associés ?
Décision de la Cour d’appel de Versailles, 16/06/2022, n°20/06593 :
« Cette reddition de charges […] constitue un accessoire des loyers et charges de sorte qu’elle prend naissance en même temps que les loyers et charges. Il convient donc d’opérer un prorata sur le montant de la reddition qui n’est due que pour la période postérieure au jugement d’ouverture […]. »
Dans cet arrêt de la Cour d’Appel, le juge retient que la reddition des charges constitue un accessoire des loyers et charges. La reddition prend naissance en même temps que ces loyers et charges.
Si la date d’exigibilité de ces loyers et charges était antérieure au jugement d’ouverture, ces charges régularisées constituent une créance antérieure.
Seule la portion de la reddition pour les loyers postérieurs au jugement d’ouverture devra être payée par le débiteur.
CONCLUSION
Les charges locatives étant l’accessoire du loyer principal, la reddition des charges ne sert qu’à ajuster le montant des charges provisionnelles.
La dette est déjà née mais il reste à en déterminer le montant exact.
On rattache le montant de la régularisation aux charges provisionnelles, qui sont elles-mêmes rattachées aux loyers.
En conclusion, il convient de se fier à la date d’exigibilité des loyers (et donc des charges) comme inscrite sur le bail pour connaitre la date d’exigibilité de la créance de charges.
Ainsi, la reddition de charges effectuée pendant la période d’observation, correspondant à des charges relatives à une période antérieure au jugement d’ouverture, constitue des créances antérieures que l’entreprise a l’interdiction de payer.
Cas pratique
Un bailleur a adressé à son locataire qui exploite un restaurant, une facture détaillant le montant de la reddition des charges pour les années 2018, 2019 et 2020.
Or, la procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’encontre de la société exploitant le restaurant par un jugement du 15 décembre 2020.
L’intégralité des sommes réclamées par le bailleur au titre de la reddition des années 2018,2019,2020 ne peut qu’être considérée comme des créances antérieures, le locataire a donc l’interdiction de les payer régler en vertu de l’article l’article L622-7 du Code de commerce.
Les loyers et charges étant payables par trimestre et à échoir, il n’y a donc pas même de prorata à effectuer pour le mois de décembre 2020 puisque le dernier trimestre 2020 était exigible au 1er octobre 2020.
Le bailleur ne peut donc exiger, pendant la période d’observation, le paiement de la régularisation de charges antérieures au jugement d’ouverture de la procédure collective.
Nos avocats sont à votre disposition pour toute question liée à une procédure collective.