La relation entre associés peut parfois se solder sur des conflits notamment en cas d’abus de la majorité dans le cadre d’une assemblée générale.
En effet, dans la majorité des sociétés, les associés ne détiennent pas tous le même pourcentage du capital social. Ceci confère plus ou moins de pouvoir dans les décisions prises en assemblée générale.
L’associé majoritaire a donc fort logiquement un droit de vote plus influent dans les décisions prises en assemblée générale.
L’associé minoritaire est donc contraint de se conformer aux décisions prises par le ou les associés majoritaires, sauf lorsque ces derniers abusent de leurs droits. On parle alors d’abus de majorité.
Après avoir présenté l’abus de majorité, nous illustrerons son application par la jurisprudence.
Sommaire de l'article
Qu’est-ce que l’abus de majorité ?
Définition
La notion d’abus de majorité trouve son origine dans la jurisprudence avec un arrêt de la chambre commerciale du 18 avril 1961, dit arrêt Schuman Picard.
Aux termes de cette décision, la cour affirmait que l’associé minoritaire peut saisir le juge s’il estime que la décision adoptée par le ou les majoritaires est contraire à l’intérêt social d’une part, et a été prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité d’autre part.
Ainsi, l’abus de majorité est caractérisé par l’existence de deux conditions cumulatives, à savoir :
- Une dimension objective : que la décision soit contraire à l’intérêt social ou du moins non conforme à celui-ci.
- Une dimension subjective : le seul motif de la décision est de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires. La rupture d’égalité des associés doit être intentionnelle.
Charge de la preuve
La charge pèse sur l’associé qui estime être victime d’un abus de majorité. Il s’agit donc de l’associé minoritaire.
Ce dernier devra prouver l’existence d’un abus de majorité. A défaut, il s’expose à un rejet de sa demande.
La jurisprudence a même admis que le minoritaire puisse agir en nullité contre une décision pour laquelle il a voté favorablement (Cass. com., 13 novembre 2003, n° 00-20.646).
A titre d’exemple, la chambre commerciale a admis l’existence d’un abus de majorité en cas de restructuration, notamment lors d’un coup d’accordéon. L’opération n’est pas en elle-même abusive en ce qu’elle aboutit souvent à l’éviction des minoritaires du pacte social. Il y a abus de majorité lorsqu’elle a pour seul objectif d’évincer le minoritaire malgré l’apurement du passif de la société (Cass. com., 11 janvier 2017, n°14-27.052).
Il y a aussi un abus de majorité en cas de réserve systématique des bénéfices, au détriment de la distribution de dividendes (Cass. com., 22 avril 1976, n°75-10.735 et Cass. com., 8 juillet 2015, n°13-14.348).
Sanctions
En cas de caractérisation de l’abus de majorité, le juge prononce la nullité de la décision prise en assemblée générale ordinaire ou extraordinaire.
Tout comme la notion d’abus de majorité, cette sanction est également une solution jurisprudentielle.
Toutefois, le juge n’a pas le pouvoir de modifier la résolution litigieuse.
L’action en nullité doit être dirigée contre la société car c’est elle qui a pris la décision par le biais d’un de ses organes.
Toutefois, il est également possible d’engager la responsabilité personnelle des majoritaires et ainsi solliciter des dommages-intérêts. Pour cela, il faudra que le minoritaire prouve l’existence de l’abus. Il devra également prouver le lien de causalité entre cet abus et le préjudice qu’il a subi.
L’appréciation jurisprudentielle de l’abus de majorité
Dans un arrêt récent, la cour de cassation a été saisie afin de statuer sur l’existence ou non d’un abus de majorité en cas de mise en réserve des bénéfices pendant plusieurs exercices.
La mise en réserve des bénéfices sur plusieurs exercices consécutifs est-elle constitutive d’abus de majorité ?
En l’espèce, l’assemblée générale d’une SARL décide de mettre en réserve les bénéfices pendant sept exercices consécutifs.
L’associé minoritaire a introduit une action en nullité contre cette décision. L’affaire parvient en cassation.
La cour de cassation a rejeté le pourvoi du minoritaire et écarté l’abus de majorité. Elle a estimé que cette décision n’était pas contraire à l’intérêt social. En effet, la mise en réserve des bénéfices était nécessaire. En effet, elle permettait à la société de présenter des garanties suffisantes à la banque pour obtenir un prêt immobilier. La Cour de cassation a donc estimé que la mise en réserve était un acte de gestion prudente. Elle assure à la société une capacité de remboursement sûre et durable.
La mise en réserve systématique des bénéfices n’est pas toujours constitutive d’abus de majorité
La mise en réserve des bénéfices est constitutive d’abus de majorité lorsqu’elle est contraire à l’intérêt social. Il faut également chercher à favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires. En effet, cela prive le minoritaire de dividendes.
On ne peut retenir l’abus de majorité lorsqu’il manque une des deux conditions. C’est le cas en l’espèce. Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel d’appréciation stricte des conditions de l’abus de majorité. C’est le cas lorsqu’on cherche à renforcer l’indépendance financière de la société en mettant en réserve les bénéfices. De même en cherchant à assurer sa pérennité dans un secteur d’activité sinistré (CA Reims 10 sept. 2007 n°04-2958). Il n’y a également pas d’abus de majorité en cas de mise en réserve systématique des bénéfices pour reconstituer la trésorerie de la société (CA Versailles 29 avril 2004, n° 02-803) ou pour réaliser d’importants investissements (Cass. com., 3 juin 2003, n° 00-14.386).
A travers ces décisions, la cour de cassation attire l’attention des minoritaires qui souhaiteraient introduire une action en nullité d’une résolution. Ces derniers devront s’assurer de la réunion de toutes les conditions requises car l’appréciation des juges est casuistique.
Le cabinet LLA avocats reste à votre disposition pour vous accompagner et faire valoir vos droits en cas de conflits d’associés.