Pour se prémunir contre le risque de défaut de paiement de son débiteur, le créancier opte souvent pour des garanties, telles que le nantissement de compte bancaire. Cette pratique fréquente chez les banquiers constitue une sécurité pour les prêts consentis, permettant le remboursement en cas de défaillance du débiteur sur son compte courant.
Cependant, l’efficacité de cette sûreté est remise en question lors de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’emprunteur. Cet événement soulève des interrogations sur l’assiette de la garantie et son immobilisation avant sa réalisation.
Sommaire de l'article
Quelle est l’assiette d’un nantissement de compte-courant ?
Le nantissement du compte-courant constitue une forme particulière de nantissement de créance, la créance nantie étant celle du solde du compte.
Si l’assiette de la sûreté est alors fonction du solde du compte-courant, il reste à définir la date devant être retenue pour déterminer le montant de ce solde.
A cet égard, le second alinéa de l’article 2360 du Code civil précise qu’en cas d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ou de surendettement à l’égard du débiteur, le montant de la créance nantie correspond au montant du solde du compte au jour de l’ouverture de la procédure, sous réserve des régularisations des opérations en cours pouvant intervenir sur le solde.
A compter de la date d’ouverture de la procédure, on peut régulariser le montant du solde du compte pendant quinze jours. Cette date sert donc de date de référence. Les opérations engagées mais non encore décaissées seront imputées au débit. Les remises faites antérieurement mais non encore portées en compte-courant seront ajoutées au crédit.
L’ouverture d’une procédure collective à l’égard du débiteur a donc pour conséquence de déterminer le montant de la créance nantie. Celle-ci a pour mesure le solde du compte au jour de l’ouverture de la procédure, régularisé des éventuelles opérations en cours.
L’assiette de la sûreté peut-elle être immobilisée au profit du créancier nanti ?
Une chose est de déterminer l’assiette de la créance nantie, une autre est de s’intéresser à la conservation de celle-ci.
En effet, l’enjeu pour le créancier nanti est alors de s’assurer que l’assiette de sa sûreté, soit le solde du compte au jour de l’ouverture de la procédure collective, soit préservée jusqu’à son désintéressement.
Si la constitution d’un nantissement sur le compte-courant du débiteur ne prive pas ce dernier de disposer librement de ses avoirs monétaires, le maintien de cette libre disposition, suite à l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, permettrait au débiteur et/ou à l’administrateur d’utiliser les sommes pour les besoins de la poursuite de l’activité de l’entreprise, au risque de réduire à néant l’assiette du nantissement du compte courant.
Se pose finalement ici la question de l’immobilisation de l’assiette, question à laquelle l’esprit du texte législatif et la position jurisprudentielle semblent en opposition.
Une lecture judicieuse de l’article 2360 du Code civil commanderait en effet d’y voir la consécration d’un blocage des sommes constituant le solde du compte au jour de la date d’ouverture de la procédure, au profit du créancier nanti.
C’est d’ailleurs le sens que souhaitait lui donner le Professeur Hervé Synvet, ayant participé au sein de la Commission Grimaldi, à la rédaction même des dispositions et expliquant que les sommes devaient être « gelées » au bénéfice du titulaire de la sûreté.
Restrictions à la faculté du créancier de retenir le solde du compte grevé
Toutefois, la Cour de cassation dénie reconnaître au créancier le droit de retenir le solde du compte grevé.
- C’est en effet la position qu’elle a pu adopter en estimant qu’avait retenu abusivement les fonds, la banque nantie qui, suite à l’ouverture d’un redressement judiciaire à l’égard de son débiteur, avait conservé et refusé de restituer le solde du compte grevé (chambre commerciale 7 novembre 2008 n°16-25.860).
La Haute Juridiction confirmait ainsi l’arrêt d’appel ayant estimé que la banque ne pouvait procéder à la réalisation de sa sûreté par la rétention des soldes des comptes nantis. Dès lors qu’à la date du jugement d’ouverture du redressement judiciaire, les échéances de la créance garantie étaient régulièrement payées.
- Cette solution a récemment été confirmée, et ce malgré, l’existence au sein du contrat de sûreté, d’une clause stipulant le blocage du solde existant au jour de l’ouverture de la procédure collective (chambre commerciale, 22 janvier 2020, n°18-21.647).
Les juges du droit invoquaient à titre liminaire l’article 2287 du Code civil suivant lequel les dispositions du Livre 4, régissant le droit des sûretés, ne font pas obstacles à l’application des règles prévues en matière de procédures collectives, dont était d’ailleurs rappelé le caractère d’ordre public.
Ces précisions faites, la Cour de cassation énonçait alors ne reconnaître au second alinéa l’article 2360 du Code civil qu’une fonction de détermination de « l’assiette de la garantie que pourra faire valoir le créancier dans le cadre de sa déclaration de créance ».
Conflit d’interprétation entre texte législatif et jurisprudence
La chambre commerciale retenait qu’une rétention des sommes par le créancier nanti, alors même que le débiteur ne se serait pas encore montré défaillant au regard du paiement des échéances de la créance garantie, se traduirait d’une part par un prélèvement par voie de compensation, et d’autre part, par la violation de la règle de la continuation des contrats en cours (article L.622-13 du Code de commerce).
La Haute Juridiction redoute en effet ici que le créancier nanti puisse se prévaloir du mécanisme de compensation de dettes connexes, entre la créance de prêt garantie qu’il détient à l’encontre du débiteur et la créance de restitution des fonds bloqués que ce dernier détient à son encontre.
Or, si l’article L622-7 du Code de commerce dispose de l’interdiction du payement des créances antérieures, c’est à l’exception d’un règlement intervenant par compensation de créances connexes.
S’agissant de la violation du principe de continuation des contrats en cours, la Cour de cassation, voit dans le blocage des fonds une résiliation unilatérale du contrat de prêt, sans doute considérant que la situation du débiteur se retrouvant privé des fonds prêtés et ne pouvant plus par ailleurs s’acquitter des échéances de prêts, conduirait inévitablement à la résiliation du contrat.
Toutefois, l’on aurait pu, d’une part, concevoir que l’article 2287 du Code civil ne puisse faire obstacle à l’application du second alinéa de l’article 2360 dès lors que la particularité même de ce texte est de prévoir une règle spécifique, expressément applicable en cas de procédure collective.
Distinction entre conservation et imputation dans les paiements compensatoires
D’autre part, l’argument tenant à un paiement par voie de compensation, appelle une distinction entre conservation des sommes par le créancier et imputation de celles-ci sur la créance garantie, deux notions distinctes que la Cour de cassation semble malencontreusement assimiler.
En retenant le solde, le créancier nanti n’entend pas procéder à son désintéressement en réalisant sa sûreté, mais simplement préserver l’assiette de celle-ci en bloquant les sommes à titre de garantie.
Enfin, s’agissant de la résiliation du contrat de prêt qui résulterait de l’immobilisation des fonds, l’on peine à comprendre en quoi cela contreviendrait à la règle de la continuation des contrats en cours, dès lors que le contrat de prêt s’exécutant par la remise des fonds à l’emprunteur, n’était alors justement plus en cours.
Analyse Critique de la Position de la Cour de Cassation sur le Droit des Sûretés et Procédures Collectives
Si le fondement du raisonnement de la Cour de cassation apparait donc discutable d’un point de vue technique, c’est qu’il semblerait que ce ne soient d’avantage des considérations politiques, tenant à l’arbitrage entre le droit des sûretés et les procédures collectives, qui aient pris le dessus sur la motivation de sa solution.
L’on comprend effectivement en poursuivant la lecture de l’énoncé que la position de la Cour de cassation est en réalité principalement motivée par les chances de réussite de la procédure collective, énonçant effectivement en premier lieu que la rétention du solde par le créancier nanti aboutit à vider « le potentiel » de la procédure de redressement judiciaire, et en deuxième lieu, que la condamnation en référé de celui-ci à en restituer les sommes tendait à « faire cesser un trouble manifestement illicite et à prévenir un dommage imminent », celui du basculement en liquidation judiciaire.
Certes, la cristallisation des sommes constituant le solde du compte grevé est inévitablement préjudiciable au succès d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaires, dès lors qu’elle prive l’entreprise de liquidités.
Toutefois, le choix opéré en faveur du débiteur en difficulté et au détriment du créancier nanti, et ce faisant l’arbitrage entre le droit des sûretés et le droit des procédures collectives revenait, non à la Cour de cassation, mais au législateur.
Absence d’incidences de paiements du débiteur
Les deux décisions précitées ayant été rendues à l’égard de faits caractérisés par l’absence d’incidences de paiements du débiteur, invitent à s’interroger sur la solution qui aurait été rendue en présence d’une défaillance de celui-ci, c’est-à-dire si la créance garantie, n’avait pas été réglée à l’échéance.
Au regard du raisonnement de la Cour de cassation, l’on peut cependant douter qu’une créance exigible au jour de l’ouverture de la procédure collective, la conduise à accorder l’immobilisation du solde du compte, laquelle sans doute ne manquera pas de rendre une décision (in)fondée sur de semblables considérations (la portée limitée du second alinéa de l’article 2360 du Code civil, l’interdiction du paiement des créances antérieures et la règle de continuation des contrats en cours) dès lors que sa priorité tient à l’issue favorable de la procédure, impliquant de ne pas soustraire les fonds du compte nanti de son périmètre.
Le créancier nanti peut-il réaliser sa sûreté ?
Sous réserve d’une intervention du législateur ou d’un revirement jurisprudentiel tendant à restaurer au créancier nanti les droits que la loi lui confère sur le solde du compte au jour de l’ouverture la procédure. Ce dernier n’en sera pas moins soumis à la discipline de la procédure collective. Notamment à l’interdiction du payement des créances nées antérieurement au jugement d’ouverture (article L.622-7 du Code de commerce).
Est à nouveau ici en jeu, la distinction entre conservation du solde retenu et réalisation de la sûreté. Reconnaître au créancier un blocage des sommes n’est pas l’autoriser à s’approprier ces dernières, et ce même, en cas de défaut de payement de son débiteur à l’égard de la créance garantie. En d’autres termes, l’immobilisation permettrait au créancier nanti de protéger l’assiette de sa sûreté mais non d’en disposer.
Ainsi, quand bien même l’assiette du nantissement serait immobilisée à compter de l’ouverture de la procédure collective, le créancier ne pourrait profiter des sommes retenues pour procéder à son désintéressement à l’échéance de sa créance garantie, en méconnaissance des règles inhérentes à la procédure collective.
Certes l’on pourrait soutenir, que la réalisation de la sûreté se révèlerait sans conséquence à l’égard de l’objectif de la procédure collective, et par conséquent que son interdiction serait inutile, dès lors que les sommes immobilisées ne peuvent être appréhendées par le débiteur et l’administrateur judiciaire, mais ce n’est pas sans rappeler les éventuelles remises de dettes consenties ou imposées pouvant intervenir.
Déclaration de sa créance privilégiée
Le créancier nanti doit déclarer sa créance privilégiée avec les autres créanciers, mais sans immobilisation des fonds, il risque fortement de perdre la sécurité de sa créance, compromettant son efficacité. Si les fonds ne sont pas bloqués, le débiteur ou l’administrateur judiciaire pourrait les utiliser pour maintenir l’activité de l’entreprise.
En conséquence, la décision de la Cour de cassation aurait pour effet de reléguer le créancier nanti d’un statut privilégié à celui d’un simple créancier chirographaire. Dans cette situation, la créance existe, mais son efficacité est complètement perdue.
Le créancier nanti peut-il se faire attribuer judiciairement l’assiette de la sûreté ?
Le créancier titulaire du nantissement du compte courant dispose de la possibilité d’emprunter la voie de l’attribution judiciaire. L’article 2365 du Code civil permet au créancier d’activer le nantissement en saisissant le juge.
Toutefois l’ouverture de procédures collectives restreint l’exercice de cette faculté. En effet, l’attribution judiciaire n’est possible qu’au seul cas de liquidation judiciaire. En revanche, elle n’est pas possible dans le cadre de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.
L’article L.642-20-1 al.2 du Code de commerce accorde en effet la prérogative au créancier de s’adresser au juge-commissaire. Cette prérogative permet de demander l’attribution judiciaire de la créance faisant l’objet du nantissement du compte courant.
En cas de non-paiement à la date prévue, le créancier nanti devrait demander une mesure au tribunal compétent. Cette démarche vise à protéger ses droits et à obtenir une solution judiciaire adaptée. Il devra le faire auprès du juge-commissaire pour obtenir l’attribution judiciaire du solde du compte-courant.
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